Médiéval

Ethan fêtait ses cinquante ans en cette année 2066. Un demi-siècle, le tournant d'une vie, et une année qui promettait d'être riche en émotions : il devait achever une mission débutée en 1066 et dont le dernier acte remontait à 2016. Ethan habitait Aurigny....mais revenons au commencement. En 1013, le Prince Edouard le Confesseur quitta l'Angleterre pour échapper à l'invasion danoise. Il se réfugia pendant près d'un quart de siècle auprès de son oncle Richard II de Normandie. Le 8 juin 1042, Knut III de Danemark, qui règnait sur le Royaume d'Angleterre, mourut. Il ne laissa aucun héritier et ce fut son demi-frère exilé, Edouard le Confesseur, qui lui succéda. En 1064, Edouard vieillissant se préoccupa d'organiser sa succession. Il n'avait pas d'héritier, et Harold Godwinson, le fils du Comte Godwin de Wessex, le personnage le plus puissant du royaume après lui-même, se disait que le trône devait être confortable et qu'il y déposerait bien volontiers sa partie charnue. Mais Edouard était redevable envers Richard II de Normandie pour la protection qu'il lui avait apportée durant toutes ses années d'exil, il accorda donc sa préférence au petit-fils de ce dernier, Guillaume II de Normandie, que la postérité connut sous le nom de Guillaume le Conquérant. Et pour officialiser sans équivoque sa décision, il chargea Harold Godwinson lui-même d'annoncer la bonne nouvelle à Guillaume. Au préalable, sage précaution, il usa de démagogie pour qu'Harold prête serment sur la Bible de fournir son appui à Guillaume pour la succession de celui-ci au Royaume d'Angleterre. Le 5 janvier 1066, Edouard le Confesseur mourut. Voilà une bien mauvaise idée. Qu'à cela ne tienne, la suite était planifiée, Guillaume fit ses bagages pour aller prendre possession du siège tant convoité. Il n'en eut pas le temps. Au jeu des chaises musicales, Edouard était le plus près, il s'assit le premier, dès le 6 janvier 1066, le trône était encore chaud. A présent que ses bagages étaient pliés, Guillaume ne se sentait point la force de tout remettre dans les armoires. Chacun sait le travail que demande un départ ou un retour de vacances. Il rapporta donc au Pape, afin d'obtenir son appui, le parjure d'Harold qui avait promis de l'aider à s'installer sur le trône. Le Pape excommunia Harold. Un serment sur la Bible n'est pas une promesse d'écolier. Guillaume, avalisé par le Pape, finit de charger ses valises et se mit en route pour rappeler à Edouard ses engagements, ce qui aboutit à la Bataille d'Hastings le 14 octobre 1066. Victoire par K.O. au premier round de Guillaume. Harold resta au sol. Guillaume était Roi d'Angleterre. Ces faits furent si importants pour l'Histoire de l'Angleterre qu'une broderie les immortalisa : la tapisserie dite de Bayeux, œuvre de propagande pour justifier la légitimité de l'invasion de Guillaume. Le consensus des historiens était que la tapisserie avait pour commanditaire Odon de Bayeux. Un faisceau d'indices convergeait vers Odon. Une telle œuvre n'avait pu être financé que par un homme extrêmement riche, et Odon était l'un des hommes les plus riches du Royaume. Il était le demi-frère de Guillaume, donc concerné par la perception qu'avait le peuple de ces événements et intéressé par la pérennité du règne de Guillaume. Il était évêque, et ce titre l'écartait des champs de bataille bien qu'il est très, trop, présent sur la tapisserie relatant une bataille. D'ailleurs, même si sa fonction d'évêque fut passée sous silence au profit de son titre de chevalier, on est en droit de se demander la raison de la présence d'un évêque sur un champ de bataille ? Parce que son statut de seigneur féodal l'obligeait à prêter assistance à son suzerain ? Peut-être, mais que faire sur un champ de bataille d'un prélat qui avait interdiction de faire couler le sang ? La vérité était toute autre. Près de 1 000 ans après la Bataille d'Hastings, en 2013, les habitants de l'île anglo-normande d'Aurigny tissèrent la fin de la broderie. Cet acte apparemment anodin ne choqua personne. Mais pourquoi broder la fin ? Pourquoi à ce moment-là ? Quelle fin puisqu'elle n'avait jamais été retrouvée ? L'aïeul d'Ethan portait un lourd fardeau, et depuis 1 000 ans que la casserole traînait, Ethan se serait dispensé d'être l'élu chargé de s'en débarrasser. La vérité était que l'épilogue avait été brodé, à partir de 2013, d'après l'original de la fin de la broderie. Personne n'avait jamais entendu parler de cet original. Et pour cause, un secret, pour être bien gardé, a tout intérêt à demeurer inconnu. Pourquoi pensez-vous que près de 1 000 ans plus tard, la tapisserie trouva enfin son épilogue ? Le fruit du hasard ? Le hasard n'a pas sa place dans les destinées royales. En fait la tapisserie avait été volontairement amputée de ses derniers mètres, pour être mise en lieu sûr et certifier, par son existence, le parchemin qui l'accompagnait. Ce parchemin, dont les historiens ignoraient l'existence, avait plus de valeur historique que la bande dessinée tapissée dont on faisait tant de cas. Il était LE testament. Il révélait, entre autres, que la vérité concernant la période anglo-normande de l'Angleterre serait dévoilée dans 1000 ans, une date suffisamment éloignée pour que personne n'ait à souffrir de ces révélations. Le testament sommait de commencer à broder le dénouement, d'après l'original, dans 950 ans, ce qui laissait un délai suffisant de 50 ans pour s'assurer que l'œuvre serait achevée pour son millième anniversaire. Cinquante ans n'était pas un délai déraisonnable, sachant que la broderie fourmillait de tant de détails qu'il avait fallu près de 20 ans pour la réalisation de sa partie principale. Ethan était en possession de cet original de l'extrémité de la tapisserie, d'une valeur historique inestimable. La charge lui revenait, en tant que descendant d'Harold à la quarante-cinquième génération, d'annoncer son existence. Les spécialistes allaient se l'arracher, et les profanes n'allaient pas en comprendre la valeur. Bien que la tapisserie était sans conteste une œuvre de propagande normande pour légitimer l'accession au trône par la force de Guillaume, son style avait toujours surpris les plus érudits car il évoquait davantage les illustrations de manuscrits anglo-saxons que l'art d'écrire et d'enluminer dans les monastères normands. Autre fait surprenant, aucun spécialiste n'était parvenu à expliquer la signification des frises qui semblaient n'avoir aucun lien avec les scènes centrales. La seule façon pour intégrer harmonieusement les bordures avec le reste de l'œuvre était d'adopter un point de vue anglo-saxon, ce qui contrariait l'entendement. Ethan était resté stupéfait en déchiffrant le Testament. Il révélait qu'Odon de Conteville ne fut pas le premier directeur européen du marketing, ou le premier directeur de campagne politique, contrairement au point de vue adopté par la communauté des historiens. Ce n'est pas lui qui fut à l'origine de la tapisserie de Bayeux. C'est en fait Harold, le fourbe, le parjure, le traître, un Anglais qui fut le commanditaire de l'œuvre à la gloire des Normands ! Pourquoi comment ? Et bien Harold, rongé de remords et de culpabilité devant Dieu pour avoir renié un serment sur la Bible, s'attendait à recevoir un châtiment divin. Afin d'expier sa faute, il tenta un petit arrangement entre amis : lui, Dieu et l'Histoire. L'Histoire attendait mille ans que les événements se tassent, Dieu lui pardonnait et lui accordait une mort douce voire pas de mort du tout, et lui, de son côté, révélait la vérité : il avait trahi Dieu, trahi Edouard le Confesseur, trahi Guillaume, trahi la loyauté et la probité qui doivent présider à l'action d'un noble de haut rang, il s'était corrompu, déshonoré. L'invasion de Guillaume le Conquérant ne pouvait qu'être victorieuse, Harold l'avait anticipée, car la main de Dieu guiderait l'épée de Guillaume pour lui infliger un châtiment mérité.

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